Le scandale des eaux en bouteille filtrées illégalement par Nestlé Waters est décidément un puits sans fond. De semaine en semaine, les révélations sont de plus en plus choquantes, et l’affaire prend une tournure alarmante avec l’implication de l’État français. Nestlé Waters nous a sciemment trompés pendant des années en décontaminant ses eaux avec des procédés interdits pour les rendre potables. Mais ce n’est pas tout : la commission d’enquête sénatoriale vient de confirmer l’étendue de la complicité de l’État dans cette affaire
Un rapport sénatorial accablant : Complicité et lobbying décomplexé
Après d’intenses mois d’auditions sous serment, dont celle de Foodwatch, le rapport de 327 pages du Sénat a été rendu public le 19 mai. Et ses conclusions sont sans appel. Les sénateurs et sénatrices pointent du doigt un lobbying intense mené par Nestlé Waters lors de rendez-vous tenus secrets. Ils soulignent également des risques sanitaires sous-évalués – pesticides, bactérie E.coli, polluants éternels – et un manque de volonté flagrant des autorités à stopper la commercialisation des eaux frauduleuses.
La gestion de ce scandale par l’État est qualifiée de « tardive, inadaptée et non transparente ». Chez Foodwatch, on comprend mieux pourquoi la France n’a pas informé la Commission européenne et les autres États membres de cette fraude massive : pendant des années, il était manifestement trop occupé à couvrir une fraude au lieu d’appliquer la réglementation.
Un scandale qui éclabousse Nestlé… et l’Élysée
L’affaire, révélée médiatiquement en janvier 2024 par une enquête conjointe de Radio France et Le Monde, a mis en lumière l’utilisation par plusieurs entreprises, dont de célèbres marques comme Perrier, Vittel, Contrex, Cristalline, Hépar ou St-Yorre, de traitements de purification interdits. Ces eaux, censées être 100 % naturelles, n’auraient jamais dû subir la moindre désinfection, contrairement à l’eau du robinet.
Le groupe Nestlé est au cœur de l’affaire, non seulement par le nombre important de marques qu’il représente, mais aussi par son lobbying exercé sur l’exécutif depuis 2021. Des documents révélés en février 2025 montrent comment Nestlé a entrepris de convaincre Matignon et les ministères concernés (Industrie, Économie, Santé) de prendre des décisions en leur faveur.
L’accusation la plus grave émane du rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale : l’Élysée aurait aidé Nestlé à poursuivre les traitements proscrits de ses eaux en bouteille en lui ouvrant « les portes de ministères ». Le rapport dénonce une « dissimulation par l’État » relevant « d’une stratégie délibérée », orchestrée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles en octobre 2021. Près de quatre ans après, la transparence n’est toujours pas faite.
De la microfiltration illégale à l’inaction des autorités
L’affaire a éclaté lorsque d’anciens employés ont signalé des pratiques suspectes à la Direction générale de la concurrence, du commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF). Des pratiques « frauduleuses » telles que les mélanges d’eaux non autorisés, l’adjonction de gaz carbonique industriel, l’injection de sulfate de fer, l’utilisation de filtres à charbons actifs, la microfiltration non autorisée, la désinfection à l’ozone et la filtration aux UV ont été découvertes.
Malgré ces révélations en 2021, « les autorités ne donnent pas de suites judiciaires à ces révélations », souligne le rapport sénatorial. Nestlé Waters, ayant appris l’enquête de la DGCCRF, a pris les devants en septembre 2021 en contactant le gouvernement pour avouer des pratiques « passées » et demander l’autorisation de remplacer les filtres à charbon et traitements UV par un système de microfiltration à 0,2 micron. Or, la microfiltration n’est autorisée qu’au-dessus de 0,8 micron, car en-deçà, elle vise la désinfection.
L’enquête conjointe de Radio France et Le Monde a montré comment Nestlé a usé d’un lobbying intense auprès du gouvernement, qui, après avoir demandé une enquête à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), a fini par approuver en février 2023 la microfiltration à 0,2 micron. Nestlé Waters, de son côté, affirme avoir toujours défendu la « sécurité alimentaire » de ses produits et sa démarche de transparence, tout en niant toute pression sur les décideurs.
L’Élysée mis en cause et des questions qui persistent
La commission d’enquête sénatoriale, créée à l’automne 2024, a eu pour objectif d’« établir une véritable transparence sur un dossier qui n’a cessé de faire l’objet de dissimulations ». Elle a auditionné près de 100 personnes, dont trois ministres et anciens ministres.
Les sénateurs déplorent une « inversion de la relation entre l’État et les industriels en matière d’édiction de la norme ». Ils affirment que Nestlé Waters a adopté une attitude transactionnelle, posant l’autorisation de la microfiltration à 0,2 micron comme condition à l’arrêt de traitements pourtant illégaux. Le rapport note que « c’est au plus haut niveau de l’État que s’est jouée la décision d’autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron », et que la présidence de la République « savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années ». Alexis Kohler, alors secrétaire général de l’Élysée, avait lui aussi reçu les dirigeants de Nestlé. Emmanuel Macron, après les dernières révélations, avait démenti être au courant du dossier.
Aujourd’hui, alors que Perrier attend la décision de renouvellement de son autorisation d’exploiter la source comme « eau minérale naturelle », et que des hydrogéologues mandatés par l’État ont rendu un avis défavorable, la préfecture du Gard a donné deux mois au groupe pour retirer son système de microfiltration.
Ce scandale, mêlant santé publique, affaires économiques, lobbying des pouvoirs publics et impliquant Nestlé, l’Élysée et plusieurs ministères, soulève des questions fondamentales sur la protection des consommateurs et la transparence de nos institutions. Jusqu’où ira cette affaire ? Et quelles seront les réelles conséquences pour les responsables ?