28 mars 2024

La sécurité sociale doit-elle rester sociale ?

Le « trou de la sécu » fait débat. Il y a des avis partagés sur les méthodes à appliquer pour faire des économies. Avec tout un lot de mesures et de révisions, nous entendons parler de restrictions, de contrôles, de débordements et de gaspillages. Les principaux acteurs d’un système médical, que sont les médecins en France, sont-il concertés ? Et que pensent ils de cette information récurrente sur ce déficit ? J’ai posé la question à Sylvie deBesombes, médecin généraliste, omnipraticien, CES de médecine aéronautique et spatiale.

Que pensez-vous du système de remboursement français ?

Il n’est pas mauvais, mais il pose, aujourd’hui, soucis. Notre système actuel est basé sur le remboursement après récolte de cotisations. À sa création, il fallait avoir cotisé pour prétendre à un remboursement, mais aujourd’hui, sans dénoncer les avancées sociales qui permettent de financer de façon « solidaire » des personnes en difficultés, nous rencontrons un problème mathématique évident. Trop de sorties d’argent et pas assez de rentrées. C’est comme si, avec un parc automobile, un petit pourcentage d’automobilistes assurait leurs voitures, mais que tout le monde soit remboursé en cas d’accident, assuré ou non assuré. Le système ne tiendrait pas longtemps. Ce que nous oublions, c’est que le RMI est financé à 60 % par la sécurité sociale. Forcément cela fait gonfler les chiffres de façon catastrophique et puis il est simple de constater dans les résultats de la Cour des comptes que dans la balance de l’assurance maladie, des allocations familiales et des assurances vieillesses, il y a toujours 30 % non expliqués.

« Assurance maladie », mais pourquoi pas « Assurance santé » ?

Sur ce même principe, le « ministère de la guerre » est devenu le « ministère de la Défense ».
Bonne question. Je ne sais pas ? C’est un terme qui nous vient de l’après guerre. Il est vrai que cela « positiverait » la démarche chez le médecin sans toutefois laisser imaginer que nous adopterions les méthodes à la chinoise. Les asiatiques entretiennent de façon générale, une relation avec leur médecin plus préventive et on pourrait en effet parler d’assurance santé. Il faut se rendre à l’évidence que chaque pays s’approprie une culture et nous ne sommes ni chinois ni américains.

Que pensez-vous de la médecine en France ? Y-a-t-il un effet « docteur House » à l’américaine ?

L’inconvénient de cette série est qu’elle apporte une image erronée de notre système français. À l’image des séries policières américaines où les mandats de perquisition sont évoqués, mais qui n’existent pas en France, nous retrouvons des méthodes médicales US sans équivalent. Pour exemple, le diagnostic est (d’autant plus qu’il s’agit dans la série de médecine interne) une analyse mise à plat des symptômes et des remèdes en face. De l’autre côté de l’atlantique, on part du postulat que ce n’est pas une science exacte et on applique des schémas rationnels en relation, sans priorité alors qu’en Europe, nous préconisons parmi le diagnostic, les remèdes prioritaires en fonction de la gravité dans la liste des symptômes. Il n’y a pas de bonnes ou mauvaises méthodes et elles peuvent très bien s’appliquer chez les uns et chez les autres, mais nous constatons que chaque méthode correspond à une culture. Et puis, l’acte intellectuel n’est pas rémunéré en France, alors comment gérer le temps quand un minimum de rentabilité est nécessaire pour vivre, payer ses factures et ses frais.
Pour revenir à la série télévisée, n’oublions pas qu’il s’agit d’une fiction. On peut s’en persuader en voyant la liste impressionnante de cas très rares et spécifiques se produire dans chaque épisode 🙂

Qu’en est-il de nos méthodes ?

Trop souvent, les patients ne sont pas malades ! Ils consomment de la médecine. Je m’explique. Il y a eu de toute évidence, une augmentation de la demande. 70% des consultations ont comme socle fondamental, le mal-être. Notre culture de la science exacte a façonné une demande digne d’une précision chirurgicale et associons notre médecine à un élément curatif immédiat. 20 à 30 % de nos médicaments sont de type préventif et on opère dans 80 % des cas. Jadis, un grand-père de 80 ans passait à côté d’une opération pour raison d’âge, aujourd’hui, et c’est tant mieux, nous considérons que ce sénior actif à besoin de cette opération pour retourner à ses occupations. Vous comprenez que nous cumulons, un besoin nécessaire de dépenses liées à notre espérance de vie et de lacunes sur la récupération d’argent dues à une « suprasocialisation » d’un système basé à l’origine sur la cotisation. Ce qui coûte le plus cher dans la vie d’un être humain reste le début et la fin… sa naissance et son décès s’il s’agit de longue maladie.

Mais la formation d’un médecin n’est-elle pas une science que l’on pourrait croire exacte ?

J’ai 23 ans de profession, et lorsque j’ai fait mes études, il était fréquent de suivre une voie littéraire, avec du latin, du grec, de la philosophie. Aujourd’hui la tendance s’est renversée et les parcours de nos médecins sont essentiellement scientifiques. Ces jeunes générations ont une pression de plus à gérer d’autant, que nous subissons une obligation de moyens qui n’arrange pas les choses.

Obligation de moyens, cela a un coût ?

Oui, nous ne parlons pas d’obligation de résultats, mais de moyens. Nous devons mettre les moyens nécessaires pour ne pas passer à côté d’une maladie. Allons nous prendre alors le risque d’économiser un examen nécessaire ? Non, c’est humain … mais pas rentable si on ose encore parler de rentabilité en médecine.

Vous parliez des seniors actifs, sont-ils forcément en meilleure santé qu’avant ?

La question révèle une réponse très complexe.
Oui et non. En effet, nous n’avons plus l’image des « grabataires », grisonnants que pouvaient être nos arrières grands parents. Les seniors sont actifs, car il y a de plus en plus de personnes à la retraite en bonne santé. Mais attention aux effets de masque.
Premièrement, s’il y a une espérance de vie prolongée, nous rencontrons alors des maladies auquel nous étions peu confrontés. La maladie d’Alzheimer est trop souvent citée dans les cas de sénilité. Elle peut être considérée comme telle quand on rencontre un sujet qui est « jeune » et qui manifeste une progression de perte de mémoire rapide, sinon il s’agit d’une dégénérescence que l’on appelle sénilité.
Deuxièmement, nous accusons une espérance de vie plus importante qu’avant, mais notre pourcentage de bonne santé dans une vie a chuté. Par comparaison extrême, vous me rappeliez qu’un centenaire d’Okinawa, est en bonne santé 98 % de sa vie. Alors que nous étions à 78 %, nous sommes en train de chuter vers les 65 % à grande vitesse. Je peux ajouter le problème des maladies « d’adultes » qu’on retrouve de plus en plus chez des ados ou jeunes parents, comme le diabète de type 2 ou les AVC.

Les prospectus distribués renseignent-ils vos patients ?

Ma génération a connu un système de consommation très faible, rarement sollicitée, car pas encore mis à l’épreuve par des lobbys de tout genre. Nous n’étions pas les « cibles » de stratégies aiguisées, à qui il est difficile d’échapper. Regardez dans une rue, aujourd’hui le nombre de fois ou vous êtes sollicité par la nourriture « sauvage » inutile, par le grignotage, par les fringues derniers cris et récemment par les grandes marques qui proposent des produits orientés vers votre … bébé. Tout nous pousse à la consommation.
Surconsommation de drogue, de musique « forte », d’alcool, de médecine due et immédiate. Une société qui consomme s’attend à consommer et elle ne supporte plus le relâchement. Il en est de même pour les actes médicaux. J’y ai droit, j’en veux et j’en aurais même si je dois refuser un diagnostic qui ne me convient pas pour en solliciter un autre dans la même journée.
Forcément, pour en revenir à votre question, les prospectus distribués en cabinet ou laboratoire sont orientés par la publicité. Pour ma part, j’ai refusé ces publi-informations, car je ne souhaite pas proposer à mes patients un triptyque évoquent un symptôme à travers une marque publicitaire. Je sélectionne depuis des années ceux qui pourront rester sur le présentoir et ne garde que ceux qui informent, sans arrière-pensée et sans produit à vendre.

Mais dans cette surconsommation, le circuit obligatoire chez le médecin traitant n’est-il pas un coût supplémentaire ?

Je dirais non. Aveuglés par cette surconsommation, des comportements sont apparus. Le « j’y ai droit » a fait penser à certains patients qu’ils pouvaient consommer du « spécialiste » à tout va. Sans faire le prêche pour ma paroisse, je trouve cette résolution intéressante. Un spécialiste est un spécialiste, il a acquis un savoir très fin dit « spécialisé ». Un généraliste a une vision globale et prévient les prédiagnostics ou auto-diagnostics erronés. Par exemple, si vous avez des douleurs violentes au cœur, sans parler des délais d’attente dans certaines villes et/ou spécialités, vous serez tenté d’aller voir un cardiologue. Mais savez-vous que cela peut être une simple poche à air gastrique ? Vous vous épuisez alors à chercher localement sur votre corps les maux alors que de façon plus systémique, votre généraliste saura comprendre et interpréter tous vos symptômes. Aujourd’hui, on peut aller voir directement un gynécologue, un psychiatre ou un pédiatre. Je pense qu’il faudrait aussi ajouter les dermatologues, car on se retrouve parfois dans des situations de non-sens avec le circuit traditionnel du médecin traitant.

Les gens consomment de la médecine tout en s’essayant médecin ?

Il est vrai que parfois, on se demande si nous ne sommes pas stupides, nous les médecins, de faire tant d’années d’études alors qu’on nous explique que tout est sur internet.

On parle de la sécu, mais qu’est-ce-qui a changé chez vos patients ces 20 dernières années ?

La sécurité sociale sera sauvée si nous réintégrons une valorisation et une reconnaissance de la médecine. Il y a une perte totale de confiance envers les médecins et la médecine. Un manque de respect et une perte de considération profonde. Souvenez-vous des médecins ou pompiers frappés alors qu’ils tentent de porter secours. Est-ce encourageant et valorisant pour les générations de médecins à venir ? De façon générale, les patients sont perdus et commettent des gestes d’auto-médications contre-productifs. Loin des peurs du médecin du XVIe siècle, la perte de confiance est différente. Elle se caractérise aujourd’hui par une peur de ne pas avoir gain de cause, par un manque de ne pas avoir eu une consultation à la hauteur de ce que la société techno-science peut nous servir. Si nous parlons, habitudes, regardez grâce (ou à cause) des téléphones portables, le comportement que nous avons adopté. Nous ne supportons plus de ne pas avoir notre interlocuteur au téléphone et voyons nos futures générations garder le téléphone à la main nuit et jour !!!

Et qu’est-ce qui a changé dans la nature des maladies ?

Principalement les cas de thyroïdes ont augmenté (Tchernobyl ?). Les cas de malbouffe se sont élargis aux problèmes de nourriture : anorexie, boulimie, surpoids. La malbouffe est devenue le reflet d’un comportement social, une sorte d’indicateur de santé physique et mentale. Nous sommes aussi de plus en plus confrontés aux problèmes d’alcool et de cannabis chez les jeunes. Le « mal-être » est partout et la tranche d’âge 20/50 ans est sujette aux états dépressifs comme jamais nous n’en avons eu.
Pour ma part, je suis obligé de constater que les cas de démences ne sont pas rares. Mais les deux faits les plus troublants sont les suivants :
Nous constatons des fins de vie de plus en plus lamentables et misérables.
Nous constatons un refus de la vieillesse, qui traduit un malaise sociétal très profond où chacun refuse sa place.

La médecine n’est pas préparée à ce genre de maladies « inventées » par l’homme.

Une réflexion sur « La sécurité sociale doit-elle rester sociale ? »

  1. Pour ce qui concerne le « circuit » médecin généraliste/spécialiste, c’est un gâchis réel ! Combien de fois j’ai dépenser 21 euros une visite de 5 mn chez mon médecin (même pas une vraie consultation) pour avoir accès à une consultation de spécialiste à 27 euros ! (soit un total de 48 euros)
    Une solution est (si les médecins généralistes jouaient le jeu bien sûr, créer des prix selon le type de consultation, par exemple un tarif A (moins cher et donc moins couteux pour la sécu) pour toute consultation de moins de 10 min. soit : renouvellement de médicaments (énorme le nombre!), certificat médical… et donc un tarif B pour une ‘vraie’ consultation médicale.

    De toute façon on nous encourage à nous « automédicaliser » – voir notre budget annuel de tous les médicaments que nous achetons pour rhumes et grippes hors consultation sans compter les produits désormais ‘de luxe’ – dont le coquelusedal (seul médicament autorisé pour la toux de mon bébé) – qui ne sont pas remboursés.

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